Sur le sentiment d’impuissance.

Sur le sentiment d’impuissance.

HUMAIN, PAS ASSEZ HUMAIN.

Cela fait des jours que je cherche à dire quelque chose sur ce qui “envahit” “notre” espace et que nous ne savons pas accueillir. J’essaie de transposer pour qu’une idée se dégage et touche, pour que les frontières mentales ne ressemblent pas aux frontières physiques…

Non, je n’ai pas trouvé. Et je vais donc me contenter de m’indigner encore de ce que nombre d’hommes et de femmes politiques, de médias, de gens, fassent comme si ces milliers d’humains qui tentaient par tous les moyens de traverser la Méditerranée ou d’arriver en Europe, avaient pour but de piquer leur boulot aux petits Français, aux petits Allemands, aux petits Anglais, etc, etc…Ils fuient la guerre, ils fuient la mort. Et certains, la misère.

Le choix des mots – migrants, réfugiés, clandestins -, on le sait, on l’a lu, n’est pas innocent.

Et dire aussi que quand bien même, ces êtres humains chercheraient un jour du travail pour la survie des leurs ici et là-bas, ce serait justement humain.

P.B

Ps: j’aurais voulu être ici plus analytique, proposer une analyse économique et politique contre les mauvais vents et les mauvaises marées, démontrer là aussi une absurdité. Pas le savoir nécessaire, pas le coeur.

Date : 13 septembre 2015 10:37
Patrice Barrat

LA FIGURE IMPOSÉE DE L’IMPUISSANCE

Cela fait des mois, depuis le printemps exactement, que je cherche le chemin
qui pourrait mener de l’émotion – celle suscitée parfois par notre propre sort ou par celui des autres, dans notre société ou dans d’autres – à une révolution nécessaire, au moins une évolution, des esprits, des comportements et des pouvoirs ( j’avais alors commencé à écrire quelques pages, sans rien en faire. Tout à l’heure peut-être, pour mémoire).

Sur ce chemin, je butais sur cette notion d’impuissance invoquée par presque tout le monde, ces indignations qui ne se transformaient pas en mouvement ou, plus prosaïquement, à travers le prisme de ce réseau double face qu’est FB, sur ces commentaires où, de plus en plus systématiquement devant certains évènements, les gens, dont moi, disaient ne pas trouver les mots.

Je m’accrochais à des citations; comme celle qu’un vieil ami, Gus Massiah, homme de toutes les luttes, fait, toujours à bon escient de Gramsci:

« Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres». Il y avait là de quoi se mobiliser mais se rassurer, pas forcément.

Ou encore à des initiatives, comme celle de Candido Gryzbowski, un des trois fondateurs du Forum Social Mondial, qui pense pouvoir trouver une “nouvelle idée planétaire” en rassemblant notamment ceux qui luttent pour leurs territoires et leurs cultures, ceux qui, à travers le monde, dans la foulée des Indignés, jeunes, ne se sentent pas bridés par les chapes de plomb du vieux monde et aussi, ceux qui ont pour eux l’expérience des combats menés sous des formes plus conventionnelles. Mais l’initiative en question n’a pas encore vraiment vu le jour.

Et puis, en juin, une amie lisait un livre devant moi. Intitulé “SURPLUS POWERLESSNESS” – “L’IMPUISSANCE ADDITIONNELLE”- cet ouvrage dit comment ce sentiment d’impuissance qui habite nombre d’entre nous depuis des lustres (le livre a été publié en 1987) est quelque chose qui s’est imposé avec le libéralisme et plus fortement avec le néo-libéralisme , le triomphe et l’encouragement de l’individualisme au détriment de la relation aux autres et de l’esprit de solidarité et d’entraide. C’est Michael Lerner, un ancien militant du 1968 américain qui l’a écrit. Après avoir été emprisonné, il est devenu philosophe, psychologue et rabbin ( oécuménique). Je n’ai pas encore pu finir ce livre qui n’est pas entre mes mains mais n’allez pas croire qu’il vante pour autant les vertus des régimes prétendument communistes.

Le coeur de son message, c’est que la civilisation industrielle et bourgeoise (et certaines de leurs suites) ont littéralement démoli les véritables liens sociaux ( et même la notion d’amour) au profit – le mot tombe bien – de cet accent mis sur l’intérêt bien compris de chacun au détriment des autres. Pour parvenir à cette fin, toutes les valeurs, celles au sein de soi, celles de la famille, celles du monde du travail, celles de la société, du pays, de la communauté des nations, ont été imprégnées par cette illusion que l’ordre établi, même celui du monde en mouvement vers une certaine forme de mondialisation, était réellement incontestable, que se révolter, se rassembler, s’unir, ne servirait à rien.

C’était comme cela et pas autrement – là, c’est moi qui parle . Et d’ailleurs, l’ouverture des marchés allait, à elle seule, c’était évident, produire en même temps l’éradication de la pauvreté, la liberté et la démocratie. On sait ce qu’il en est advenu.

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Bien au delà de l’interrogation sur le bienfondé de l’utilisation – qui pose d’autres questions- de cette image d’un enfant mort sur un rivage, ce qui pourrait être important, c’est que se joue là un phénomène plus ou moins spontané vienne mettre à mal le carcan dans lequel nous avons en grande partie “souffert” ces derniers temps, cette impression d’impuissance qui nous paralysait jusqu’alors. Prenant conscience que rien au fond ne limite leur prise de conscience et leurs actions, les citoyens se sentiraient désormais voler des ailes pour donner libre cours aux générosités enfouies, aux élans solidaires et aux réflexions solides sur l’état des choses et des gens.

Les pouvoirs, on le voit déjà, se surprendraient alors à devoir douter de leur cynisme, se méfier positivement de leurs peuples et, enfin, à devancer l’appel de la raison.

Je m’arrête là avant d’aller trop loin et de ne pas être suivi. Libre à chacun d’imaginer les suites qu’il ou elle veut.

Patrice Barrat

Date : 14 septembre 2015 19:02

DE L’IMPUISSANCE À L ‘(A R) ÉVOLUTION.

Alors que j’écrivais hier ce petit texte – ” LA FIGURE IMPOSÉE DE L’IMPUISSANCE” – et je vous remercie vraiment pour vos encouragements à m’exprimer -, j’en évoquais un autre, antérieur. Le voici. Il date de mars dernier et traite davantage de nos sociétés en général et de l’espace que l’on s’y donne pour déplacer les lignes de nos propres comportements que de cette nouvelle crise motivée par la question des réfugiés.
Comment l’émotion, l’indignation, provoquées par tel ou tel évènement – la répétition de ce qui n’est jamais le même- pourrait nous conduire non pas au rabâchage d’un sentiment d’impuissance mais à un chemin autre, par lequel on prendrait conscience de nos forces et de ce qui nous oppresse jusqu’à jeter les bases d’une évolution ou d’une révolution.
Ce que je dis ici est loin d’être savant. Cela repose sur ce que j’ai vu, entendu, vécu, à travers le monde depuis un certain nombre de décennies…

Je le publie en l’état, réellement inachevé, sans aucun air docte donc. Et avec cette même citation; assez connue, de Gramsci sur le vieux et le nouveau monde et ces monstres qui peuvent couver, surgir, entre les deux.

P.B
14 septembre.

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Ce que toutes ces crises nous disent d’un saut nécessaire dans l’histoire de l’Humanité. Dans la civilisation « moderne », en tout cas.

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DE L’ÉMOTION

« L’information est comme un entonnoir. Nous n’avons de la place que pour une grosse émotion par semaine ou par mois ».

Il y a bien longtemps, en 1990, c’est PPDA (Patrick Poivre d’Arvor, longtemps éternel présentateur du journal télévisé, pour ceux qui vivent à l’étranger) qui disait cela. Devant un Bernard Kouchner, Secrétaire d’État alors à Gauche et un parterre d’une centaine de futurs attachés humanitaires des ambassades de France dans le monde.

J’avais filmé la scène et elle figure dans un documentaire intitulé « Famine Fatigue ou le Pouvoir de l’Image » où je me demandais comment quelque chose devient un événement sur la planète ou bien demeure un non-événement. Entre la réalité, les ONGs, les médias, les autorités locales, la géopolitique, les opinions : quels ingrédients ? Quelles interactions ? Le fil conducteur pour ce questionnement, c’était cette famine au Soudan qui, en 1988, avait fait 250 000 morts mais pas une ligne.

De cela, j’ai déjà parlé ici il y a près d’un an. J’en reparle aujourd’hui pour avouer que je m’interroge : et si PPDA avait eu raison ?

Népal, morts en Méditerranée, Kenya, Yémen, Copenhague, Charlie, Boko Haram, Syrie, Irak, Libye, Gaza, la pauvreté dans le monde, la richesse sans scrupule, sa concentration, la posture tarée des « Républicains « américains face au climat… J’arrête. Vous savez comme moi cette litanie d’ « impuissances».

Eh bien non, il n’avait pas raison.

UN SYSTÈME GLOBAL VICIÉ

Ce qui vient à l’esprit, c’est que le sentiment de révolte ne doit plus se disperser en mille causes en tant qu’elles auraient des causalités différentes. Certes, les solidarités doivent s’exercer pour chacune d’elles. Mais il faut s’en prendre maintenant à ce système global fondamentalement vicié qui permet tout cela ; questionner sans cesse ces modèles économiques qui, non, ne parviennent pas à résoudre la pauvreté par l’ouverture des marchés et la fin des subventions ; dénoncer ces pouvoirs qui, d’Israël aux Etats-Unis ou à l’Algérie, n’hésitent pas à se servir des extrêmes pour réduire leurs « ennemis » modérés ; ridiculiser ces « Républicains » américains qui, jusqu’à l’engloutissement de leurs propres circonscriptions, nieront la réalité du réchauffement planétaire ; condamner ces médias qui, de part en part, véhiculent la haine et génèrent le racisme ; mettre à mal ces géants de la Société de l’Information qui, loin de lui fournir les outils de sa liberté, font du citoyen un pur consommateur et un consommateur contrôlé ; et encore et encore et encore. Oui, ce sont sûrement là des vœux pieux.

Comment, cependant, y tendre, aller vers eux, rendre possible au moins leur espérance ?

Il y a un certain nombre de choses que l’on sait : la plupart des institutions internationales, jusqu’aux Nations Unies, ont perdu leur éventuel souffle initial. La Société Civile organisée, un temps rassemblée en partie au sein des Forums Sociaux Mondiaux, n’a pas encore pu faire valoir une vision planétaire à même de susciter l’enthousiasme. Les interminables pétitions rassemblées par tel ou tel, si elles font nombre, ne font pas assez sens. L’Espace Public moderne fait la part belle – au détriment des autres – aux intellectuels de pacotille.

Mais attention, on le voit bien en France et ailleurs, parmi les manières de dénoncer le « système », certaines préparent le pire.
Le danger est très moche et bien là, qui n’a pour ainsi dire peur de rien, ni de la mort de l’Autre, ni des relents historiques.

« Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres»

cette citation de Gramsci, cela fait 10 ans que j’entends un “vieux” militant”, un homme de toutes les luttes, Gus Massiah, l’a répété à travers le monde et il a raison de le faire.

En France, à la veille de la « Révolution » de mai 1968, on se souvient qu’un éditorialiste, Pierre Viansson-Ponté, avait écrit « La France s’ennuie » pour prédire le risque et la chance qui la guettait.

A l’échelle du monde, comment ne pas voir que les cynismes triomphants appellent autre chose et sont une invitation formidable, même si indirecte, à une forme inconnue d’évolution ou de révolution.

Alors, il n’y a peut-être que la Jeunesse, les Jeunesses, pour prendre les devants. Déjà, à travers le monde, en Europe, en Amérique, en Asie et, plus discrètement, en Afrique, elle a montré qu’elle pouvait contester et renverser des pouvoirs établis, jusqu’à remettre en question les logiques prévalentes.

Qu’a-t-elle à perdre, la Jeunesse, quand elle n’a pas d’horizon ?

Que faudrait-il pour que certains ne subissent pas la tentation des extrêmes, pour que son plus grand nombre….